Repenser les chaînes de valeur : les défis structurels du secteur agroalimentaire algérien
À l’Agora des Experts de Djazagro, Dr. Kahina Mellab décrypte les obstacles et les pistes d’action pour une intégration réussie du secteur agroalimentaire algérien dans les dynamiques régionales et mondiales
Le salon Djazagro a ouvert ses portes avec une Agora des Experts marquée par la conférence du Dr. Kahina Mellab, maître de recherche au CREAD. Spécialiste de l’économétrie et des politiques économiques, elle s’est penchée sur les enjeux qui freinent le développement du secteur agroalimentaire algérien. Dans cet entretien, elle revient sur les leviers à activer pour transformer le potentiel du secteur en véritable moteur de diversification économique.
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je suis Maître de recherche titulaire au Centre de Recherche en Économie Appliquée pour le Développement (CREAD) à Alger. Mes domaines de spécialisation incluent l’économétrie, l’analyse des données, et les politiques économiques, avec une focalisation sur la diversification économique des pays mono-exportateurs, comme l’Algérie. J’ai consacré une large partie de mes recherches à l’étude de secteurs stratégiques tels que l’industrie manufacturière et l’agroalimentaire, et à leur impact sur la croissance, l’emploi et la résilience économique.
Sur quel thème avez-vous choisi d’intervenir à Djazagro ?
Mon intervention à l’Agora des Experts s’intitule : « De la production à l’exportation : le secteur agroalimentaire algérien face aux défis de développement ». J’y aborde les freins structurels qui limitent l’intégration du secteur dans les chaînes de valeur régionales et mondiales. Cela comprend des enjeux de productivité, de compétitivité, mais aussi de transformation industrielle et d’ouverture vers les marchés internationaux.
Quels sont concrètement ces défis structurels ?
Le secteur agroalimentaire en Algérie fait face à plusieurs freins majeurs. La transformation des produits agricoles reste insuffisante, ce qui limite la création de valeur ajoutée. Les investissements dans les infrastructures industrielles sont faibles, tout comme l’introduction de technologies modernes. À cela s’ajoutent des coûts logistiques élevés, des difficultés d’accès aux marchés internationaux, et des barrières réglementaires contraignantes. Nos exportations agricoles ne représentent qu’environ 4 % des exportations totales, contre près de 12 % pour la Tunisie. D’autres pays comme la Corée du Sud ont su transformer leur secteur par des politiques volontaristes et des investissements massifs, ce qui leur a permis de hisser leurs exportations agroalimentaires à plus de 10 % du total national.
Quel rôle peut jouer l’Agora des Experts dans ce contexte ?
L’Agora joue un rôle essentiel en réunissant experts, chercheurs et décideurs autour des enjeux du secteur agroalimentaire. Elle permet une prise de conscience collective et favorise les échanges de bonnes pratiques. C’est aussi un espace de formation, d’innovation et de sensibilisation qui incite à moderniser les infrastructures, à développer des solutions locales et à repenser la place du secteur dans le modèle économique algérien.
Comment évaluez-vous l’évolution du salon Djazagro ?
Depuis sa création en 2003, Djazagro est devenu un rendez-vous incontournable. Il a permis de créer une dynamique d’innovation, d’introduire des technologies, et de renforcer les échanges entre acteurs nationaux et internationaux. Aujourd’hui, Djazagro est plus qu’un salon : c’est un catalyseur pour la transformation de l’industrie agroalimentaire en Algérie et un indicateur du potentiel de croissance durable du secteur.
Trois trajectoires réussies de transformation agroalimentaire
Plusieurs pays ont montré qu’une stratégie volontariste peut profondément transformer un secteur agroalimentaire. En Corée du Sud, l’essor du « K-Food » s’appuie sur l’innovation, les fermes intelligentes et un soutien actif aux exportateurs, avec plus de 11 milliards $ d’exportations en 2021. Les Pays-Bas, malgré leur petite taille, sont devenus le 2ᵉ exportateur mondial grâce à la technologie, la transformation locale et la coopération public-privé. L’Irlande, enfin, a su monter en gamme avec une stratégie nationale autour de l’image, de la qualité et du développement durable, via son label « Origin Green ». Trois approches différentes, mais un même levier : investir dans la transformation pour s’ancrer dans les chaînes de valeur mondiales.